Résistance(s)

© Compagnie Nomades.

Texte, mise en scène et scénographie Jean-Bernard Philippot, compagnie Nomades – au Théâtre de l’Épée de Bois, Cartoucherie de Vincennes.

Il y a des rails au sol et une barrière bicolore semblable à celles qui ferment les passages à niveau manuel, blanche et rouge. Cette frontière délimite deux espaces, deux pays, la France et l’Allemagne : côté cour, on est en Picardie avec Doucette et son père, cheminot, une grande tendresse circule entre eux d’autant que la mère est morte ; côté jardin, on est à Munich avec Sophie Scholl, son frère Hans et son père. On est en 1943, on suit l’histoire en miroir de ces deux jeunes filles qui ne demandaient qu’à vivre, de leur engagement, de leurs destins. Fusent les mots de la guerre – Pétain, Vichy, martyrisés, Hitler, tziganes, juifs, dénonciation et délation, ici Londres. Même désarroi de part et d’autre, mêmes luttes.

© Compagnie Nomades.

La scénographie se compose de triangles mobiles, aux toiles tendues, qui permettent des jeux d’ombres et quelques images projetées. Ces figures servaient de marquage pendant la guerre et selon leur couleur, rouge, vert, jaune, bleu, catégorisait telle ou telle classe de population à surveiller, voire à éliminer tels prisonniers politiques, homosexuels, apatrides etc. Deux triangles deviennent une étoile de David. On est au cœur de la seconde guerre mondiale. L’auteur, Jean-Bernard Philippot, colle à l’Histoire et conserve les prénoms et les noms de ceux qui ont vraiment existé. Ainsi Hans Scholl et Alexander Schmorell qui, à l’été 1942, rassemblent un groupe de résistants allemands contre le régime nazi, composé de quelques étudiants et de proches. Son nom, La Rose Blanche/Weiße Rose. IIs passent à l’action en rédigeant les premiers tracts qui appellent à la résistance et se référent aux grands poètes comme Goethe – « Il faut braver toutes les forces contraires », Novalis, Schiller etc. Ils envoient ces tracts aux intellectuels, écrivains et professeurs d’université leur demandant de les reproduire et de les diffuser, ils démultiplient leur geste et actions de résistance.

Sophie Scholl, sœur de Hans, très vite les rejoint et devient le pilier de La Rose Blanche. Elle se raconte et regarde le chemin parcouru : dans l’enfance elle avait voulu faire partie des Jeunesses hitlériennes, comme de nombreux enfants allemands et contre l’avis de son père, elle reconnaît s’être trompée. Elle raconte la prise de pouvoir par Hitler et cette euphorie du début, puis la prise de conscience, dès lors le cliquetis de la machine à écrire, le bruit de de la ronéo qui tourne. On la voit avec Hans et Alexander écrire et tirer les tracts, les répartir entre les étudiants qui prendront le train pour les diffuser dans différentes villes d’Allemagne. Leur mot de passe : Liberté ! « Il faut indiquer clairement que La Rose Blanche n’est à la solde d’aucune puissance étrangère » ajoute Sophie qui, elle aussi, part pour la distribution, et plus tard se fait attraper par la police de son pays.

© Compagnie Nomades.

Protégée par son père et devenue institutrice, Doucette de son côté entre petit à petit dans l’Histoire par la compréhension des dénonciations, surtout quand elle comprend que son père a caché Jeanne, une amie juive et qu’il doit à son tour s’effacer, disparaître. Code de reconnaissance commun : les feuilles tombent en automne. Le nazisme se fait de plus en plus féroce, elle en rappelle les signes annonciateurs à commencer par la crise économique et sociale des années 30, évoque le Front Populaire, une belle utopie… La police française sous Pétain secondé par Laval, principal maître d’œuvre de la politique de collaboration avec l’Allemagne nazie, entre dans les classes arracher les enfants dénoncés à leurs bancs d’école, à leurs apprentissages, à la vie. Les délateurs rôdent, à commencer par un certain Boulard. Des Boulard, il y en a partout.

Le parcours de Sophie et celui de Doucette s’écrivent en canon, se télescopent, parfois se rejoignent au-delà de la barrière/frontière : Papa était…raconte Doucette, « cheminot. Il en était fier. J’adorais me promener le long des rails avec lui. » Mon père était… dit Sophie « le maire de Forchtenberg… un humaniste et un progressiste convaincu. » De part et d’autre, on voit les jeunes femmes grandir dans leurs convictions d’opposition, leurs actions de militantes, leur volonté d’arrêter la guerre et de construire un monde équitable. Sophie sera arrêtée et tentera de nier sa participation avant de s’opposer frontalement au SA chargé de l’enquête et même de le provoquer. Engagée de son côté, Doucette sera à son tour arrêtée. Interrogatoires, peine de mort pour la première, déportation pour la seconde.

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« Je suis dans un train bondé qui part. On se serre. On étouffe, on respire tant bien que mal…Je m’appelle 3-1-8 » et Doucette sème des messages sur la voie ferrée comme autant de petits cailloux blancs espérant que son père les trouvera. Mais lui fut aussi arrêté pour avoir caché l’amie juive puis exécuté. Une balle claque. « Papa !!… Partisan franc-tireur épris de liberté pétrifié par des pseudo-patriotes… » Adieux aux parents pour Sophie, avant la guillotine : « Ne vous inquiétez pas. Je referais les choses exactement de la même manière » leur dit-elle, continuant à défier ses geôliers. Mort de Jeanne dans les bras de Doucette, les deux femmes se sont retrouvées à Auschwitz. La pièce pourtant se termine sur l’espoir avec le poème de Paul Eluard, Liberté, énoncé en duo par Sophie et Doucette. Ce poème fut écrit clandestinement, en 1942 et parachuté sous forme de tracts à des milliers d’exemplaires par les avions anglais, au-dessus de la France occupée : « Sur mes cahiers d’écolier, Sur mon pupitre et les arbres, Sur le sable sur la neige, J’écris ton nom… » Il se ferme sur ce mot qui a donné du sens à leur vie : « et Je suis né pour te connaître, Pour te nommer, Liberté. »

© Compagnie Nomades.

L’angle de vue de l’auteur et metteur en scène, Jean-Bernard Philippot face à son sujet est judicieux et permet de montrer la similitude des situations, des souffrances, de l’engagement, de l’absurde. De part et d’autre de la frontière deux jeunes femmes prennent position et mettent en jeu leur vie pour que la paix et la liberté l’emportent. Les deux actrices sont remarquables dans la défense de leurs convictions, Sophie/Anne Maceda et Doucette/Marie Recours-Bellessort, portées par la troupe où chacun dans son rôle – frère, pères, flics, amis – écrit un morceau de la partition, historique et théâtrale. Le spectacle est prenant, l’émotion circule, d’autant quand on traite de destins individuels au cœur de la grande Histoire et quand on met le doigt sur la plaie, blessures et responsabilités partagées. Face à l’Histoire on sort sonnés, mais le rappel est salutaire à travers la figure emblématique de ces deux jeunes résistantes, de leur obstination au risque de leur vie. « Quelle connerie la guerre » disait Prévert.

© Compagnie Nomades.

Fondée par Jean-Bernard Philippot et Jean-Louis Wacquiez en 1999, la compagnie Nomades avait déjà travaillé sur le sujet de la guerre, en l’occurrence de la Grande guerre (1914/1918) en présentant en 2018 pour le centenaire de l’armistice une grande fresque historique qui avait mobilisé plus d’une centaine d’acteurs et techniciens, Le Chemin des Dames, spectacle également joué dans les deux langues, française et allemande. La compagnie a par ailleurs présenté en 2022, Germinal, d’après Émile Zola, au Familistère de Guise, situé dans l’Aisne – où elle est implantée – modèle de l’utopie sociale et architecturale construit par Jean-Baptiste André Godin au milieu du XIXème. Plus de cent trente acteurs étaient, là aussi, mobilisés. Jean-Bernard Philippot écrit également pour le jeune public ainsi que pour les ados dans le cadre de la prévention. Ses textes et ses spectacles sont toujours porteurs du sens de l’Histoire, ou sont engagés dans la défense s’un point de vue, d’idées. La compagnie Nomades travaille en partenariat avec la Ligue de l’Enseignement de l’Aisne, et Résistance(s), labellisé par la Licra, est joué alternativement en français et en allemand. « Sophie s’apprête à prendre un train pour aller distribuer ses tracts politiques à Stuttgart. Très loin de chez elle, à l’Est, l’autre jeune fille sort d’un train » résume l’auteur. « Elle a désormais un numéro sur le bras. Un mot les réunit : Résistance ! »

Brigitte Rémer, le 8 mai 2023

© Compagnie Nomades.

Avec : Anna Maceda, Agathe Heildelberger, Alex Gangl, Marcel Korenhof ou Bertrand Mahé, Lili Markov, Charles Morillon ou Mickaël Winum, Marie Recours-Bellessort, Clément Bertrand, Raphaël Plockyn – Musique en direct Agathe Heildelberger, violon – Marcel Korenhof ou Bertrand Mahé, accordéon – Clément Bertrand, piano/guitare – lumières Maxime Aubert – technique Lucas Dorémus – administration Julien Dubuc.

Du 4 au 28 mai 2023, les jeudis et vendredis à 19h, samedis et dimanches à 14h30, en français, les samedis à 19h en allemand – au Théâtre de l’Épée de bois, Cartoucherie de Vincennes. Route du Champ de Manœuvre – 75012. Paris – métro Château de Vincennes, puis bus 112 – site : www.epeedebois.com – tél. : 01 48 08 39 74 et aussi : www.compagnienomades.net – email : compagnie.nomades@gmail.com